Paris, mai 1961
Le spectacle du Théâtre de Paris est né d’un ballet de rencontres, dont Mme Elvire Popesco, chez qui la directrice n’est en rien inférieure à la comédienne, a ordonné victorieusement le dernier mouvement.
Alain Delon voit au Théâtre des Nations un spectacle de Luchino Visconti («La Locandiera», de Goldoni: accord parfait du goût et du génie dans l’œuvre fascinante de ce metteur en scène). Il est enthousiasmé. On le présente à Luchino Visconti.
Alain Delon tourne cependant Plein Soleil auprès d’Elvire Popesco. Mme Popesco a un œil à qui rien n’échappe, ni personne. Ayant jaugé le débutant en train de devenir célèbre, elle l’engage de toute son autorité à monter sur les planches; mieux, elle lui ouvre son théâtre.
M. Visconti rêve de monter un spectacle elisabethain, dont la vigueur, les grands éclats lyriques, la trivialité voulue, et dans le cas précis de la pièce de John Ford la barbarie, lui paraissent d’un bon exemple pour un théâtre contemporain à son sens chaque jour plus étriqué, plus énervé, plus complaisant. Son choix se porte sur le texte français que j’avais écrit de Dommage qu’elle soit une putain. Mme Popesco, qui avait eu la faiblesse d’aimer ma première pièce (je dis la faiblesse, car elle fût à peu près la seule) au point de m’inviter à lui en donner une autre pour le Théâtre de Paris, paraît enchantée de la rencontre. J’aurais eu mauvaise grâce à ne pas l’être tout autant.
Restait — ce n’était pas le plus facile! — à trouver la comédienne qui aurait assez de feu et de pureté, qui serait assez belle et assez touchante, pour incarner Annabella, la sœur incestueuse de Giovanni. Mme Popesco, Luchino Visconti, Alain Delon et moi pensions, chacun de notre côté, que Romy Schneider serait une Annabella idéale, mais aucun d’entre nous n’osait confier son idée aux trois autres, crainte de se voir accusé de faire parler l’amitié avant le sens critique. Luchino Visconti, le premier, franchit le pas : «Tout compte fait, je ne vois que Romy Schneider…».
Les acclamations qui accueillent chaque soir, au Théâtre de Paris, cette jeune femme pantelante mais radieuse, qui joue sur une scène pour la première fois de sa vie, dans une langue qui n’est pas la sienne, l’un des rôles les plus écrasants du répertoire, prouvent que l’idée, en effet, n’était pas si mauvaise.
Georges Beaume