On m’avait décrit Luchino comme un perfectionniste qui trasforme en or tout ce qu’il touche. Mais il pouvait aussi réduire un acteur à néant. Avec moi, il se montra protecteur, gentil, très doux. Il avait l’habitude de m’appeler Claudine et de me parler en français pour me mettre à l’aise. Il me donna tout ce que j’étais capable d’absorber.
Avec lui, j’appris à travailler comme au théâtre: on étudiait d’abord la scène autour d’une table, puis on commençait à chercher les mouvements, les intonations, enfin, on mettait la machine en route. Les électriciens et les techniciens entraient, nous courrions dans nos loges pour nous préparer. Pendant Le Guépard, je n’en sortais qu’au bout de trois heures: le maquillage, très soigné, était inspiré des portraits de l’époque. Quant à la coiffure… Visconti s’apercevait d’un seul cheveu qui n’était pas à sa place! Chaque pièce de vêtement était authentique, du corset au sac à main. Et dans le sac à main, il y avait un flacon de parfum et un carnet de bal, qui ne se sont jamais vus à l’écran, mais qui me servaient pour devenir, corps et âme, Angelica… une Angelica éclatante, ambitieuse, avec une pointe de vulgarité.
Ala même période, je travaillais aussi avec Fellini. C’était une tout autre expérience parce que Huit et demi fut tourné sans scénario, et tout le monde s’imaginait y avoir collaboré avec l’auteur. Je m’aperçois maintenant que ce n’était qu’un leurre. Federico est un monarque absolu. Mais il nous flattait, il nous permettait de croire que c’était vrai… Parce que les acteurs, Federico, il les soigne, il les encense, il les choye, il en fait des êtres uniques… Et puis, j’avais un rôle superbe, idéal féminin, la pureté, la candeur.
Je restais avec lui, à Rome, trois jours par semaine, puis je retournais à Palerme, pour valser et faire des révérences au Prince de salina, c’est-à-dire à Burt Lancaster. Nous sommes devenus de grands amis, à force de danser ensemble pendant un mois, une valse après l’autre, et d’ailleurs toujours la même valse. Les cènes du bal étaient tournées le soir uniquement parce que la température du jour était intenable. Ce qui explique qu’elles furent si longues. Quand Burt et moi nous sommes dit “au revoir”, à la fin du tournage, nous étions convaincus de ne plus nous rencontrer. Mais moi, je crois dans un dicton de mon pays qui dit: “Si Dieu le veut”. Et deux ans plus tard, nous nous sommes revus sur le plateau du film Les professionnels, mon premier film américain, tourné dans le désert, avec Jack Palance, Lee Marvin, Robert Ryan et Burt Lancaster. A cette occasion, il me fit un compliment extraordinaire: “Tu ne ressembles vraiment pas à une femme”, parce que je n’avais jamais peur, je me plaignais pas de la chaleur, je mangeais tout ce qu’on me servait.
(interview par Georges Ferre, Ciné-Revue, Novembre 1981)